Interview du président du Tribunal administratif de Grenoble
Découvrez l'interview du président du Tribunal administratif de Grenoble, Monsieur Jean-Paul Wyss.
Comment devient-on président du TA ?
J’ai un parcours relativement classique. J’ai obtenu une maîtrise de droit public à Lyon3, puis j’ai fait Sciences Po Paris et l’ENA dans la foulée. En sortant, j’ai intégré le Ministère de l’intérieur où je suis resté 4 ans, puis j’ai demandé une mobilité au Conseil d’Etat. J’ai ensuite passé quelques années au Ministère d’outre-mer et je suis revenu en province pour raisons familiales. J’avais alors le choix entre les CRC (chambres régionales des comptes) et le Tribunal administratif. N’aimant pas les chiffres, j’ai choisi le TA ! Cela m’a plu alors j’y suis resté.J’ai intégré le Tribunal administratif de Lyon en 1996, d’abord comme conseiller puis premier conseiller et enfin vice-président, à partir de 2006. Par la suite, je suis devenu président de chambre à la Cour administrative d’appel de Lyon en 2013. J’ai ensuite occupé la fonction de président du Tribunal administratif de Bastia en 2015 où je suis resté 3 ans avant d’assurer cette fonction à Châlons-en-Champagne puis à Grenoble, à partir de mai 2021.
J’ai aimé toutes les fonctions que j’ai occupées dans ces différents lieux. Je dis souvent que, durant ma carrière, j’ai eu la chance d’avoir la mer, la plaine et la montagne !
Quel est votre rôle en tant que président du TA de Grenoble ?
Mon rôle est d’assurer la bonne marche du tribunal dans tous ses aspects : l’organisation générale du tribunal, la répartition des collègues et des matières par chambre, la qualité de la production juridique... Il y a aussi les aspects relatifs à la gestion logistique ”de la maison”, pour offrir un cadre de travail le plus agréable possible aux collègues, et puis les problématiques d’ordre RH comme, par exemple, remplacer une personne absente. Pour cela, je suis aidé par une greffière en chef, et une greffière en chef adjointe.Le droit n’est plus en première ligne dans ma fonction. Je n’en fais plus guère même si je préside encore une chambre où l’on traite les contentieux sociaux et les permis de conduire car ce sont des dossiers moins chronophages.
Une autre partie importante de ma fonction consiste à gérer les relations avec l’extérieur. Le TA doit participer à la vie juridictionnelle de Grenoble, en échangeant avec tous les acteurs et notamment les autres juridictions, les administrations, le Préfet...
Vous participez également activement à la vie universitaire par votre investissement au sein du Conseil de Faculté et votre présence aux événements : pourquoi est-ce important pour vous ?
C’est important pour le rayonnement du Tribunal administratif qui est peu connu de nos concitoyens. Et puis j’aime ça, tout simplement ! On a un métier qui pourrait vite tendre vers une forme d’enfermement donc il faut saisir les occasions de s’ouvrir vers l’extérieur. C’est important de connaître ce qui se passe autour de nous. J’ai toujours eu cette préoccupation de maintenir les liens avec mon environnement dans mes précédents postes. Je suis ouvert à toutes sollicitations, dans la mesure du possible bien sûr, si je peux être utile.C’est finalement un enrichissement mutuel. J’apprends des choses en participant au Conseil de Faculté et le tribunal accueille, de son côté, des étudiants et des diplômés.
A ce titre, accueillez-vous beaucoup d’étudiants de la Faculté de droit de Grenoble au TA ?
Nous accueillons des stagiaires en Master 2 au TA ; nous en avons trois cette année, pour une durée de 4 mois. Nous proposons également des stages de découverte aux étudiants de Licence 3.Par ailleurs, nous embauchons de nombreux assistants de justice qui sont diplômés de la Faculté de droit et qui sont d’ailleurs tous très bons !
Nous souhaiterions également accueillir un alternant en Master DCAP pour la rentrée de septembre 2026, le temps que l’on puisse organiser les choses sur le plan administratif. Je pense que l’alternance c’est l’avenir.
Quels conseils donneriez-vous aux étudiants qui souhaitent travailler dans le domaine de la justice administrative ?
Le parcours type consiste à faire un Master de droit public puis 2 à 3 années en tant qu’assistant de justice afin de préparer le concours de recrutement direct qui est un concours de très haut niveau, mais pas insurmontable. L’essentiel des jeunes collègues qui arrivent sont des têtes bien faites, en partie grâce à la Fac de droit !Mon premier conseil pour réussir est vraiment de venir au TA pour découvrir la vie du TA, en vrai. C’est important de s’assurer à un moment donné qu’on aimera ça. C’est particulier la justice administrative, c’est presque monastique. Il faut avoir l’esprit du magistrat, face à son dossier. Il y a peu de contact avec l’extérieur.
Les qualités requises sont les suivantes : être organisé, aimer le droit, avoir un esprit très concret (le jugement doit être exact, compris et applicable). C’est un mélange entre l’eau et le feu : il faut être concret et intellectuel.
Il faut être mobile également et aller découvrir le terrain. La mobilité est quasiment obligatoire dans l’administration, si l’on veut évoluer dans sa carrière. Les collègues ont l’opportunité d’aller voir différents terrains pour comprendre la réalité. Il faut savoir ce qu’est une administration.
Enfin, il ne faut pas oublier les concours administratifs qui donnent accès à des emplois de greffe et pour lesquels les étudiants en droit sont très bien préparés.
Compte tenu de votre expérience, quelles évolutions récentes sont pour vous marquantes au niveau de la justice administrative ?
Bien sûr, il y a des évolutions constantes dans le droit. Si je fais le bilan du droit tel que je l’ai appris lorsque j’étais étudiant, il n’y a plus grand-chose d’applicable aujourd’hui. Désormais, le droit est plus compliqué mais plus concret. Le juge a plus de pouvoir qu’avant avec la procédure d’urgence (référé-suspension), l’injonction et l’astreinte. Cela assure l’effectivité de sa décision.La dématérialisation a également changé notre quotidien. Aujourd’hui, les dossiers sont réduits à une chemise cartonnée où il n’y a plus rien, excepté le jugement signé (appelé « la minute ») mais cela va disparaître rapidement avec la signature électronique. Avant, on transportait d’énormes charriots qui circulaient dans les couloirs mais tout ça c’est fini, et c’est heureux! Même les particuliers peuvent déposer leur recours en ligne, sans se déplacer, via la plateforme « Télérecours citoyen » qui a été créée en 2018. On tend vers le 0 papier avec ça.
Le télétravail s’est également beaucoup développé. Le juge administratif peut désormais, depuis chez lui, travailler sur les mêmes outils qu’au tribunal, avec les mêmes conditions de sécurité. Le greffier télétravaille également depuis le COVID, avec des outils performants. Mais cela pose la question de l’affaiblissement des relations sociales... Au début de ma carrière, tout le monde fréquentait le centre de documentation où l’on faisait nos recherches sur des revues papier. C’était l’occasion de rencontrer les collègues, de discuter. Maintenant que tout cela est fini, on doit organiser des événements pour se retrouver tous ensemble !
Et concernant l’introduction de l’IA dans la justice administrative, quel est votre sentiment ?
L’IA n’est pas encore entrée au TA. Cependant, le Conseil d’Etat mène des expériences qui, pour le moment, ne sont pas des réussites. Mais j’ai la ferme conviction, comme tout va tellement vite, que dans 2 à 3 ans ce sera au point. Nous sommes déjà face à des avocats qui utilisent des outils qui commencent à être bien élaborés, notamment dans les gros cabinets.Quand on lit dans les revues que les outils d’IA sont capables d’engloutir des centaines de décisions de justice pour produire des statistiques, c’est intéressant. Pour les dossiers de permis de conduire, l’IA ferait également le travail, on aurait plus qu’à vérifier. C’est un vrai défi mais je suis assez confiant.
L’IA permettra d’assurer la qualité du droit mais sans ôter au juge le fait qu’il est un Homme. L’un des enjeux du juge est de ne jamais oublier que derrière les dossiers il y a des vraies personnes. Chaque dossier doit recevoir le souci adapté, jamais moins. Le temps passé sur un dossier est très variable, cela peut être de 30 minutes à plus d’1 semaine. Mais il est nécessaire de passer le temps qu’il convient car c’est important pour la personne dont on traite le dossier. Ce temps-là, l’IA peut le réduire mais ne pourra pas le supprimer.
Publié le 15 avril 2025
Mis à jour le 15 avril 2025
Mis à jour le 15 avril 2025