Un nouveau contrat de recherche pour le Centre de Recherches Juridiques
Mme Amélie Favreau, Maître de conférences en droit privé à l’IUT2 de Grenoble, membre du Centre de Recherches Juridiques de la Faculté de droit de Grenoble et directrice adjointe du CUERPI (Centre Universitaire d’Enseignement et de Recherche en Propriété Intellectuelle), nous présente son projet d’étude sur les « smart contracts » pour lequel elle a obtenu un contrat de recherche.
1. Dans quel cadre avez-vous obtenu un contrat de recherche ?
Chaque année, la Mission de recherche « Droit et Justice » (1) lance des appels à projets sur différentes thématiques comme celle du « droit, justice et numérique ». Lorsque j’ai vu cet appel, il me restait 3 semaines pour déposer mon dossier. J’ai demandé conseil à Mme Stéphane Gerry-Vernières, Professeur à la Faculté de droit de Grenoble, qui avait déjà soumis un projet avec succès et ses encouragements m’ont conduit à me lancer dans le dépôt, même si le délai était court. Le montage du projet m’a occupée nuits et jours, il a représenté plus de 200h de travail… J’ai dû aussi mobiliser très rapidement une équipe de recherche de plus d’une vingtaine de personnes. La structuration de la ComUE Université Grenoble Alpes m’a aidée dans le sens où elle favorise la pluridisciplinarité. J’ai ainsi pu contacter plus facilement des personnes travaillant dans d’autres disciplines que le droit.
Grâce à ce travail, notre équipe a reçu un financement total de 20 000 euros, pour deux ans. Même si le CRJ dont je suis membre m’offre un important soutien (pour les manifestations et publications notamment) et une grande liberté dans mes recherches, les contrats de recherche comme celui-ci sont nécessaires car ils apportent une source de financement supplémentaire. En revanche, entrer dans une recherche collective avec un contrat signifie qu’on respecte un budget discuté avec l’organisme financeur, le développement de la recherche est donc différent.2. Pouvez-vous nous présenter le sujet de votre étude ?
Les smart contracts sont une application de la technologie « blockchain » (2). Il s’agit de la traduction informatique d’un engagement contractuel existant pour en assurer son exécution automatique. Le contrat traditionnel est alors « augmenté» de cette dimension informatique. Ils fonctionnement comme toute instruction conditionnelle de type « if – then » (si telle condition est vérifiée, alors telle conséquence s’exécute). Prenons l’exemple d’une compagnie d’assurance qui inscrit sur une blockchain les conditions d’indemnisation d’un agriculteur selon différents scénarios météorologiques. En fonction de la météo, l’indemnisation de cet agriculteur se fera automatiquement. Ceci est une application simple de la blockchain, mais il peut y avoir des applications beaucoup plus complexes.Deux limites ont, en l’état de la réflexion, été identifiées. Premièrement, la programmation en langage informatique d’un contrat ne permet pas d’inclure une part de subjectivité, pourtant présente en droit des contrats. Par exemple comment traduire la « bonne foi » avec un code informatique ? Secondement, les contrats autoexécutants sont immuables, c’est-à-dire sans possibilité de correction ou de suppression ultérieure. On peut alors s’interroger sur l’autoexécution d’un contrat qui comporterait une faille et sur lequel le concepteur ne se serait pas aménagé la possibilité technique d’un « retour en arrière ».
3. Pourquoi avoir choisi la thématique des smart contracts ?
C’est la lecture d’un article du Pr. Célia Zolynski qui m’a révélé cette question. Je connais cet auteur avec lequel nous avons échangé dans le cadre de l’appel à projet. Je trouve ce sujet vraiment passionnant pour les liens entre l’informatique et le droit. Bien sûr, il y avait des sujets brulants sur la thématique « droit, justice et numérique », l’utilisation du Big Data et du Machine learning dans la justice. Mais c’est aussi par stratégie que j’ai choisi de me positionner sur un sujet moins connu et donc moins concurrentiel.Le sujet des smart contracts est intéressant car il interroge énormément de questions juridiques : les notions de paiement, de sécurité juridique, de preuve électronique, d’efficacité du contrat… La démarche de projet est de pouvoir établir un clausier, qui consisterait sur plusieurs occurrences à traduire les clauses françaises et britanniques en smart contract et à les assortir d’explications tant juridiques que techniques. L’informatique devient une nouvelle étape dans l’écriture du droit.
Le clausier sera déposé sur une plateforme mise à disposition des avocats du barreau de Grenoble que l’on souhaite associer à cette démarche. Il vise à répondre à un besoin lié à la redéfinition des professions juridiques et judiciaires impulsée par le numérique. Cette démarche correspond à l’idée de la Mission qui est de toujours lier les questions académiques avec la réalité du monde professionnel, pour permettre une application concrète des recherches menées.
4. Quels sont les membres de votre équipe projet ?
L’équipe qui travaille sur ce projet est composée de 22 personnes. Des enseignants-chercheurs et chercheurs de différents centres de recherche en font partie :- SCRIPT (centre de recherche en droit et technologie) de l’Université d’Edimbourg
- CRJ (centre de recherches juridiques) de l’UGA
- LIG de Grenoble (laboratoire d’informatique de Grenoble)
- CDPPOC (centre de droit privé et public des obligations et de la consommation) de l’Université Savoie Mont-Blanc
- CDCM (centre de droit de la consommation et du marché) de l’Université de Montpellier
- ICube (laboratoire des sciences de l’ingénieur, de l’informatique et de l’imagerie) de l’Université de Strasbourg
5. Quels vont être les temps forts de ce projet ?
Un séminaire de lancement est organisé le 16 mars 2018 à la Maison de l’avocat (renseignements : crj@univ-grenoble-alpes.fr) avec des enseignants-chercheurs venant de pays étrangers pour parler de leur vision des smart contracts. Ainsi nous pourrons structurer une équipe européenne. Un séminaire de clôture nous permettra de présenter la plateforme auprès d’un public d’avocats.La publication de rapports (intermédiaire et final) est également prévue. Il s’agit de documents publics, mis à disposition sur la plateforme du GIP.
6. Quelle est la plus-value de ce contrat de recherche pour le CRJ et pour vous ?
Les contrats de recherche permettent de structurer une équipe sur un site, de donner de la visibilité au laboratoire, en local et à l’international, et de mobiliser sur des thématiques nouvelles. Cela permet également de soutenir la démarche pluridisciplinaire de l’Université. On fait aussi de nouvelles rencontres : c’est riche en aventures !Plus personnellement, je souhaite explorer davantage la thématique des smart contrats en partant étudier au sein du SCRIPT et du Blockchain technology laboratory d’Edimbourg l’année prochaine dans le cadre d’un congé pour recherches.
Mis à jour le 1 juillet 2024
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(2) Définition de la Blockchain par J.P. Delahaye : « Un très grand cahier que librement et gratuitement tout le monde peut lire, sur lequel chacun peut écrire, mais qui est impossible à modifier et indestructible ».